Dans un petit village vivait une jeune femme qui possédait la beauté, l’intelligence, le charme et la richesse. Sa haute silhouette glissait voluptueusement dans les ruelles, tandis que son port altier la faisait se prendre pour une reine. Ses grands yeux de gazelle séduisaient tous les hommes, alors qu’elle n’en regardait aucun ; nul ne trouvait grâce à ses yeux.

– Trop laid, trop bête, trop pauvre, trop difficile, se disait-elle.

Elle vivait seule, bien seule dans sa grande maison, n’étant réellement amoureuse que d’elle-même. Le temps passa, et ni les compliments, ni les promesses de mariage, ni les cadeaux, qu’ils soient troupeaux de vaches, parures ou étoffes précieuses ne parvinrent à ouvrir son cœur.

Un matin cependant, elle se réveilla inquiète. Tant d’années avaient passé. Elle eut alors envie d’être mère et regarda les hommes d’un autre œil. Mais décidément, ils ne lui plaisaient toujours pas.

Elle se rendit alors chez un féticheur et lui exposa son problème : elle voulait enfanter seule, afin que le fruit fût aussi parfait que la fleur qui l’avait conçu. Le guérisseur, d’abord surpris, se plia, à la fin, aux exigences de sa cliente. Il ramassa de la graisse de buffle, l’humecta de sang de crapaud et prononça une formule rituelle. Il en fit ensuite une poupée sombre qu’il enveloppa dans l’argile et souffla dessus. La terre se mit à frémir et un faible vagissement se fit entendre. La mère, comblée, ramena son enfant chez elle, disant à qui voulait l’entendre que ce trésor était pur, car il avait été conçu sans l’aide d’un homme.

L’enfant grandit et, peu à peu, devint bruyant comme le crapaud, coléreux comme le buffle et hargneux comme un moustique affamé. Il devint aussi mauvais que sa mère avait été parfaite. Les gens fuyaient leur contact, tant l’enfant leur faisait peur. Et la vie de cette belle femme devint un désert, car à force d’avoir cherché l’inaccessible, elle avait négligé le bonheur qui était au creux de sa main.

Source : KAMANDA SYWOR, Kama, 2004. Eben’a. Paris : Éditions Eben’A. ISBN 978-2-913123-02-1, pp. 540-541.