À la nuit tombante, seule la clarté d’un feu de camp rougissait la face cuivrée de la lune. La chaleur humide montait de la terre. Le désert immense crissait de mille bruissements, frôlements, chuchotements d’agonie et de lutte. Les enfants étaient silencieux et tournaient vers l’obscurité leurs yeux avides de sensations.

Le griot était assis, enveloppé dans une peau de lion, et arborait un visage d’une grande noblesse.

Le récit commença. Il s’agissait ce soir-là d’un récit de chasse. Le bavard parlait haut, brassait l’air de ses mains, roulait des yeux effrayés, au souvenir du groupe de lions qu’il avait courageusement affronté. Il en avait tué une douzaine, armé de son seul arc et de ses flèches empoisonnées. Pour le récompenser, le chef du village lui avait offert sa plus belle fille en mariage et il avait découvert, après la noce, qu’elle avait des pouvoirs magiques. Grâce à ceux-ci, il apprit l’existence d’une mine de diamants et il en avait ramassé des monceaux. Les entrailles de la terre s’étaient ouvertes à lui et il y avait décelé des arbres de diamants, des pommes d’émeraudes, des cerises en rubis, des lacs turquoise et ses yeux avaient été aveuglés par tant d’éclat et de richesse.

Et l’homme parlait, parlait, et seule la brise colportait sa parole.

Une autre fois, il s’en était allé au pays des morts, pour l’aventure ; il y avait affronté de grands périls, protégé par son gri-gri magique.

Et la parole enflait, enflait, et s’envolait dans l’immensité des dunes. L’esprit du vent, entendant ses récits, décida de donner au vantard une bonne leçon. Il se mit à souffler sur le campement, éteignant le feu et dispersant les cendres, chassant ainsi les fidèles auditeurs vers le pays des songes.

Le fier griot abrégea son récit et s’enroula dans une natte chatoyante afin de goûter un repos bien mérité.

– Puisque la parole s’égare, se dit le vent. Égarons-la définitivement et qu’il se réveille demain matin, muet comme un poisson ! Et puisqu’il est aussi courageux qu’il le prétend, insufflons dans ses nuits le récit qu’il se plaît à nous faire chaque jour.

Ainsi le pauvre homme se trouva-t-il dès cet instant confronté en songe à des hordes de lions affamés et de revenants effrayants puis, pourchassé par de cruelles sorcières. Il passa toute la nuit à lutter et lutter, à creuser de ses mains ses mines de diamants, s’abîmant les doigts sur les arêtes coupantes des gemmes.

Il gémit toute la nuit, s’agitant et se retournant en tous sens.

Quand la nuit s’effaça au point du jour, il émergea enfin de son cauchemar et voulut le raconter à son fidèle auditoire.

Mais, à la surprise générale, aucun son ne sortit de sa bouche. Il était devenu muet comme le grand baobab qui s’élevait près de sa maison, car la parole s’était libérée de son maître et s’était égarée dans le paysage aride.

On prétend que parfois, un voyageur perdu dans la brousse entend la voix du griot et sombre ainsi dans le cauchemar et dans la folie.

Source : KAMANDA SYWOR, Kama, 2004. Eben’a. Paris : Éditions Eben’A. ISBN 978-2-913123-02-1, pp. 534-536.