C’était un brûlant lever du soleil. Les villages, joies dans l’immense savane herbeuse, derrière les montagnes rocheuses, semblaient blanchir sous l’accumulation de la poussière épaisse et ocre du gras, qui accompagne la saison sèche. Les chants d’oiseaux traversaient le ciel livide.
Ce jour-là, un génie mécontent décida, selon son bon plaisir, de faire disparaître tous les papillons de la surface de la terre. En vérité, il en voulait à tous être beaux parce qu’il était hideux. Tricheur éhonté et cynique personnage, il capturait tout ce qu’il trouvait superbe et merveilleux pour se venger de son état.
À l’approche de midi, pour s’amuser, deux enfants, frère et sœur, couraient derrière les papillons à travers les champs. C’était leur jeu favori. Au détour d’un chemin, Ils aperçurent un individu étrange qui avalait tous les papillons. Irrités, ils s’approchèrent de lui, résolus à lui adresser leurs protestations. Sa laideur les effraya, mais la fillette, prise d’une bravoure soudaine, dit :
– Rends-nous les papillons ! Tu es méchant !
Étonné, le génie se dit :
– De quoi se mêlent-ils, ceux-là ?
Remarquant qu’ils étaient jeunes et gentils, le génie leur dit de ne pas avoir peur. Ils en profitèrent pour lui exprimer leur désapprobation et leur indignation:
– Pourquoi manges-tu les pauvres papillons ?
– La nature ne m’a pas bien doté. J’ai tous les pouvoirs, sauf celui de me faire plus beau que je ne suis. Rassurez-vous, tous les papillons que j’avale ne meurent pas, répondit le génie.
– Si ce n’est que cela, assura le jeune garçon, nous pouvons t’aider. Nous te donnerons en échange un masque de beauté, mais à une condition : tu dois libérer les papillons que tu as fait disparaître de la Terre. Tous ceux qui les ont capturés les ont fait mourir de froid, de faim ou de chaleur extrême.
Ému, le génie promit de laisser partir tous les êtres qu’il avait emprisonnés en lui. Il ouvrit alors son ventre multicolore comme un arc-en-ciel et immense comme un horizon clos. On y voyait des fleurs rayonnantes et des plantes vertes et luisantes :
– Partez, mes papillons, regardez le beau soleil qui se lève, rit et s’émeut ! Vous pouvez voltiger dans l’air parfumé de la vie.
On vit sortir de son cœur et s’envoler dans l’âme céleste des milliers de papillons aux couleurs blanches, jaunes, mauves, ocres et ambrées. Ils volaient, dansaient et voltigeaient. Ils étaient heureux de revoir la lumière du jour. De splendides pellicules de soufre se répandaient dans la brise du vent comme des monceaux d’or. Des particules d’émeraude mêlées aux poussières cristallines couvraient le ciel tout autour d’eux.
Émerveillés, les enfants avaient le cœur inondé de bonheur ! Ravis que le génie eût tenu sa promesse, ils cueillirent les fleurs les plus belles et confectionnèrent pour lui le plus beau masque qui fût. II exhalait des parfums capiteux.
Le génie était satisfait et très ému de tant d’affection humaine. Chaque fois qu’il portait son masque, les papillons venaient s’y poser pour l’ennoblir de leur beauté !
Source : KAMANDA SYWOR, Kama, 2004. Eben’a. Paris : Éditions Eben’A. ISBN 978-2-913123-02-1, pp. 519-521.