Un bûcheron s’en alla un jour en promenade à travers la brousse. En chemin, il vit sur le sol un vieux tam-tam cassé, abandonné. Il s’en approcha, le ramassa pour s’amuser et pensa pouvoir s’initier à la musique. Dès qu’il l’observa de plus près, il pensa :

« J’aimerais bien avoir des danseurs et des danseuses qui virevolteraient aux sons endiablés de ma musique. »

À peine frappa-t-il sur le tam-tam que le ciel se couvrit d’éclairs. Et voilà qu’un parterre miraculeux lui était offert avec les personnages fabuleux de son imagination. Il écarquilla les yeux ; son cœur n’y croyait guère. Mais obstiné, il continua de jouer, se disant qu’il ne s’agissait là que d’une illusion d’optique. Bien vite, il se rendit à l’évidence, sursauta de peur, recula d’un pas et se mit à trembler d’angoisse. L’instrument concrétisait ses rêves les plus cachés. Effrayé, il crut que le tam-tam étaient ensorcelé et il le jeta par terre. Tremblant de tout son être, il s’enfuit à grandes enjambées vers son village natal, convaincu que sa trouvaille était envoûtée. Sitôt chez lui, il se dit, tout essoufflé :

– Si vraiment ce tam-tam était maléfique, il m’aurait apporté un certain malheur ! Ce n’est pas le cas ! J’ose croire que c’est moi qui suis craintif. Il faut donc que j’y retourne voir de près !

Sur cette résolution, il repartit sur le lieu de son étrange découverte, hanté à la fois par la peur et la curiosité. Là, il s’approcha prudemment de l’objet insolite. D’un geste vif, il donna un petit coup et se retira rapidement pour observer les effets de son acte. C’était bien ce à quoi il pensait. Curieux, il découvrait, émerveillé, un monde féerique. Il comprit que, tel la terre, ce tam-tam pouvait tout donner ; mais comme elle, il pouvait également tout reprendre. Chaque frappe de sa surface provoquait soit le bonheur, sois le désastre. Ce qui expliqua pourquoi la foudre éclatait à chaque usage et qu’après la décharge, tout changeait par enchantement.

Un jour, la femme du chef de la tribu fut possédée par les mauvais esprits. Connaissant les miracles produits par le tam-tam, on invita le batteur de tam-tam au chevet de l’envoûtée pour l’aider à guérir. L’homme, très flatté d’une si grande reconnaissance au sein de sa communauté, accourut. Il était heureux de pouvoir faire profiter les autres du bienfait de sa trouvaille. À son arrivée, il joua de son instrument, tout joyeux. Une forte détonation éveilla le ciel : éclairs, tonnerre, torrents d’étoiles. C’était semblable à un beau feu d’artifice, puis vint la complète guérison. Dès lors, le jeune homme connut le plus grand succès grâce à l’objet merveilleux.

En traversant un jour une ville, il rencontra une princesse qu’il désira ardemment épouser. Celle-ci, ne croyant pas au pouvoir de l’instrument, lui affirma qu’elle deviendrait sa femme s’il la rendait belle. Son souhait fut comblé et elle l’invita à rejoindre son royaume. Mais ils trouvèrent le pays en pleine guerre. Son père était sur le point d’être vaincu par les guerriers d’un empire voisin. La population entière était menacée. Une grande partie avait déjà été massacrée. La jeune fille présenta son soupirant à ses parents. Le monarque exigea qu’en échange de la main de sa fille, il débarrassât le pays de ses envahisseurs.

L’amoureux se mit à battre du tam-tam de toute la force de ses mains. Ses grands bras musclés tremblaient de l’effort engagé. Sur-le-champ, un essaim d’abeilles venimeuses jaillit d’un angle déchiré du tam-tam. Les insectes agités et nerveux s’en prirent aux agresseurs qu’ils mirent en déroute et décimèrent. La victoire fut totale. C’était la liesse. Partout il y eut des cris de soulagement et la famille royale sortit grandie de ces événements. Quelques jours plus tard, le sauveur vint exiger du roi qu’il honorât sa promesse. Celui-ci refusa alors la main de sa fille à un inconnu sans rang social et lui préféra un souverain d’un état ami sur lequel il comptait pour étendre son territoire. Du fond de son cour meurtri, le jeune homme n’avait plus qu’un souhait : la mort de ceux qui n’avaient pas tenu leur engagement. Il connaissait un moment de colère extrême. Machinalement, il se mit à frapper la ngoma de ses mains nerveuses. Le tam-tam commença à vibrer. Il se mit à produire des éclairs, des grondements de tonnerre et un mélange de chants mystérieux et anodins. Le pacte avec le destin était rompu. Alors qu’il aimait engendrer le bien, on lui inspirait le contraire. Exiger la mort était aussi une façon de lui demander sa propre dissolution. L’heure était grave et le choix impossible.

Le tam-tam pleurait, se convulsait, saignait de partout. Le batteur, effrayé de l’intensité de l’effet que produisait son instrument, l’envoya d’un coup de pied rouler au fond de la pièce. Là, le tambour résonna de nouveau, hurla puis éclata en furie. Il se produisit alors une formidable détonation aérienne. Aussitôt, dans un hurlement strident, le tam-tam aspira le roi, sa cour et son maître qui l’avait repoussé. Il se transforma en cyclone et emporta tout sur son passage : hommes, femmes, enfants et bien. Il s’éleva ensuite avec férocité dans le ciel tourmenté.

Personne, depuis lors, n’a retrouvé la trace des disparus.

Source : KAMANDA SYWOR, Kama, 2004. Eben’a. Paris : Éditions Eben’A. ISBN 978-2-913123-02-1, pp. 506-510